Zoom sur le bureau de New York : Interview de Lucie André Calschi

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Zoom sur le bureau de New York : Interview de Lucie André Calschi

Dans le cadre de son développement international, B.D.C. a ouvert en septembre 2017 un bureau à New York. Situé au cœur d’une des scènes de l’innovation et du commerce connecté les plus dynamiques au monde, le bureau new-yorkais est sous la responsabilité de Lucie André Calschi, qui nous livre quelques clés de lecture du marché américain.

 

« Quelle est l’actualité du Commerce Connecté aux États-Unis? »

LAC : « Le rythme effréné des avancées technologiques est incontestable sur un marché de transformations ininterrompues et d’incertitudes qui font de la capacité à innover un avantage concurrentiel indéniable. Des assistants intelligents qui ont fait de la science-fiction une réalité chez un quart des foyers américains à la conquête de l’espace (Elon Musk et SpaceX, Jeff Bezos et Blue Origin) ou à la quête d’immortalité (Larry Page et Calico), les avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) – la 4e révolution industrielle – véhiculent de nouveaux espoirs (accélération de la recherche de médicaments contre le cancer, réduction du réchauffement climatique, colonisation de mars…). Mettant en exergue les bénéfices d’une culture de l’investissement et du risque et augmentant l’attractivité des lieux de forte concentration de l’innovation : San Francisco et la Silicon Valley, New York, mais aussi Dallas, Austin, Boston, Seattle, Philadelphie, Atlanta et Portland aux États-Unis.

L’innovation est devenue en enjeu majeur pour les organisations, leur permettant d’atteindre leurs objectifs d’(hyper)croissance, de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs elles-mêmes alimentées par l’accélération des modes de vie urbains et de satisfaire les marchés boursiers.

Conséquence : les financements – levées de fonds, acquisitions de startups tech innovantes – atteignent des montants vertigineux et les pays et entreprises sont lancés dans une course à la médiatisation et à l’agilité, engagés dans une bataille sans merci pour attirer et retenir les talents. Avec, en tête, les GAFAM. Aux États-Unis se dessine déjà un nouveau paradigme où les maitres mots sont accélération et hyper-croissance.

Côté Retail, les distributeurs américains n’échappent pas à cette tendance de fond. La distribution physique, « les bricks », a toujours de l’avenir (Walmart reste le 1er retailer américain, rachat de Whole Foods par Amazon, multiplication des flagships de marques « digital native » comme Warby Parker et Casper, temps moyen record de 45 minutes pour une visite chez Sephora…). Mais, dans un contexte ultra-concurrentiel où la bataille pour la part de marché et le coût exorbitant de l’immobilier commercial viennent dégrader la marge, les acteurs de la distribution sont amenés à repenser les fondamentaux de leur modèle économique, privilégiant désormais l’expérientiel au règne obsolète du produit, via de nouvelles expériences clients omnicanales personnalisées et différenciantes et le développement d’une nouvelle forme de Retail-as-a-Service qui oriente la proposition de valeur sur le développement et la monétisation d’une gamme de services à destination des consommateurs (clients B2C) et des marchands (clients B2B).

En témoignent par exemple la multiplication et le succès des formules d’abonnement (Amazon Prime, Blue Apron, Harry’s, « membership programs » de Costco, BJ’s…), la largesse de l’offre de services financiers (cashback, leasing, cartes de crédit…), ou l’amélioration des standards de livraison (free one-day, two-day, overnight, indoor shipping) côté client final. Ainsi que la création de programmes et services permettant aux marchands B2B d’optimiser leurs coûts opérationnels et leur ROI (e.g. Amazon Business et Advertising pour les Divisions procurement et marketing) et aux distributeurs de générer de nouveaux flux de revenus. Certains acteurs comme b8ta ont même fait du Retail-as-a-Service leur cœur de métier : en proposant des points de vente centrés sur la découverte, l’essai et l’achat des derniers produits tech et transmettant aux marques la data collectée en temps réel à des fins de pilotage commerciales et marketing (développement produit).

Cette évolution du secteur, qui replace le client au cœur de l’expérience d’achat et des processus métier de l’entreprise, apporte son lot de défis, qui ne se résument pas à l’ouverture d’un nouveau concept store ou flagship. Il faut réformer en profondeur les organisations, qu’il faut faire évoluer vers des structures plus agiles – et à grande échelle (« at scale ») ! – permettant aux équipes opérationnelles de reprendre le pouvoir sur leurs objectifs et moyens (y compris les logiciels) et de gagner ainsi en réactivité. Une transformation digitale aux airs de révolution managériale et culturelle pour beaucoup d’organisations, à laquelle s’ajoute l’impérieuse nécessité de prendre en compte les usages – tant de consommation que professionnels – d’une nouvelle population : les Millenials. Ce qui se traduit par exemple, sur le plan de la consommation, par la réconciliation des identités multiples d’un même individu pour une approche marketing holistique. Un vrai challenge pour les entreprises dont l’historique du système d’information représente un gros passif.

Enfin, si les États-Unis attirent multinationales et startups du monde entier, la taille et les spécificités de ce marché ultra-concurrentiel en font un eldorado difficile à pénétrer, compte-tenu du niveau d’investissement et du degré de risque au pays où nul n’est « too big to fail » (cf. les faillites et Chapters 11 des géants Toys’R’us, Sports Authority, The limited… des dernières années). Nombre de startups et entreprises françaises bien établies s’y sont frottées et sont reparties (retrait de Décathlon début 2000 après le rachat de magasins MVP Sports et avant son retour fin 2017, échec de la joint-venture Ventes privées-American Express en 2014…). Les coûts immobiliers et, dans une moindre mesure, les budgets média, pèsent sur les P&L. Et l’acquisition – online et en magasin – reste un défi de taille sur un marché où la fidélisation est en recul. Néanmoins, certaines entreprises françaises tirent leur épingle du jeu, laissant présager d’autres beaux succès français à venir (Criteo, Content Square côté scale-ups par exemple).


« Quelles sont les acteurs et les grandes tendances du Retail aux États-Unis? »

Citons d’abord l’ultra-domination de Walmart sur le Retail physique, engagé dans une guerre sans merci avec Amazon pour la domination de l’e-commerce : Free shipping, objectif Same-day delivery couvrant tout le territoire américain (et 6 fuseaux horaires en incluant Hawaï, l’Alaska et Puerto Rico), indoor delivery pour gagner la bataille du Fresh (alimentaire). Les 2 titans s’affrontent à coup d’expériences pilotes (cashier-less stores, livraison par drone), d’investissements massifs et d’acquisitions multiples (jet.com pour Walmart, WholeFoods pour Amazon et plus récemment PillPack dans la pharmacie en ligne), relayés à grands coups de communiqués de presse. Si le premier règne encore en maître sur les ventes, le second mise sur la fidélisation, gagnant du terrain chez les Millenials et Gen X.

Pendant ce temps-là, le marché du Retail retient son souffle… et subit : en particulier les marques, prises en étau entre les retailers et les GAFAM. Les premiers, qui réalisent jusqu’à 90% des ventes des marques, fixent – dans le sillon d’Amazon et Walmart – des standards de marché de plus en plus agressifs sur lesquels les marques cherchant à développer le canal DTC (Direct to Consumer) peinent à s’aligner. Forts d’un trafic online et en magasin conséquents, les distributeurs collectent une donnée client qu’ils ne retransmettent pas ou très partiellement aux marques. Et renforcent ainsi leur position dominante. Quant aux seconds – les GAFAM, ils semblent invincibles et étendent toujours plus leur périmètre d’activité, réinvestissant jusqu’à 80% de leur cash-flow. Data-native, leurs stratégies mettent l’accent sur l’expérience client et s’avèrent payantes (en 2017, 49% des recherches de produits commençaient sur Amazon et 36% sur les moteurs de recherche aux USA, le duopole Google-Facebook concentrait 60% des investissements publicitaires en ligne, au premier trimestre 2018 Amazon Advertising affichait une croissance à 3 chiffres pour atteindre plus de 2 milliards de dollars…). Enfin, comment ne pas citer Apple comme l’un des acteurs emblématiques du Retail. L’entreprise de Steve Jobs qui a préféré, il y a 20 ans, suppléer une partie des dépenses publicitaires par l’ouverture de magasins en propre, ces temples de la marque dont les baux commerciaux annuels estimés entre 5 et 6 milliards de dollars n’empêchent pas l’iPhone de générer plus de profits que n’importe quel autre bien de consommation.

Un nouveau type d’acteurs apparaît aussi sur le marché, les DNVB pour « Digitally Native Vertical Brands » : des marques nées en ligne qui contrôlent leur chaîne de valeur et vendent en direct aux consommateurs en ligne et désormais aussi dans des points de vente physiques (Warby Parker, Everlane, Casper). Avec une croissance 3 fois plus élevée que celle de l’e-commerce aux États-Unis et un marché de 8 milliards de dollars en 2017, ces nouveaux acteurs affichent des résultats à faire pâlir leurs aînés du Retail grâce à 7 stratégies de croissance ultra-performantes, façonnant un nouveau paysage Retail et séduisant une nouvelle classe de consommateurs, les Millenials.

Dans ce contexte, les plus pessimistes prédisent même le déclin futur des marques historiques traditionnelles. Alors, « Alexa, can we kill brands? » Scott Galloway, Global Leader of Tomorrow et professeur à la NYU, est devenu spécialiste de la question.

Les directions générales des marques, mises au pied du mur, doivent arbitrer entre une réforme anticipée de leur modèles actuels, quitte à s’amputer aujourd’hui d’une partie de la marge, pour garder le leadership sur leurs segments historiques en se positionnant comme pionniers sur les innovations de demain ; ou privilégier une stratégie court-termiste et continuer à défendre quelques années de plus leur pré carré, au risque de se faire disrupter par les nouveaux entrants. Ce dilemme est notamment d’actualité pour le marché de la beauté, menacé par les nouvelles technologies et une plus grande transparence quant aux effets réels des produits : « Alexa, what are the true benefits of my skin-care products? Google & Instagram, who are the new Beauty disrupters? »

Ainsi que pour le secteur de la mode et du prêt-à-porter, mis à mal sur les questions sociales et environnementales (l’empreinte eau ou water footprint révèle qu’il faut 20 000 litres d’eau pour la production d’un tee-shirt en coton) alors que des marques comme Everlane et son concept de radical transparency prennent la relève.

Tous s’accordent désormais aux États-Unis sur la nécessité de s’adapter, de repenser son business model et sa stratégie – disrupter avant de se faire disrupter – et de créer des avantages concurrentiels durables, mais tous n’osent pas encore en amorcer le virage et les entreprises qui soutiennent l’innovation sans pénaliser l’échec (dans une logique de test-and-learn et de fail fast) sont mieux armées pour la transformation de leurs organisations (pensons au virage du digital de Walmart il y a quelques années ou au lancement de Nordstrom Rack).

Enfin, soulignons quelques tendances du marché américain qui se dessinent depuis le début d’année et devraient se confirmer d’ici à fin 2018 :

  • Des fermetures de magasins (pour rappel, 7 000 en 2017 et pas moins de 4 000 attendues à minima pour 2018). Réinventer l’expérience client et intégrer le réseau de points de ventes physiques à la stratégie digitale globale de la marque devient obligatoire, à l’instar des initiatives d’acteurs comme Nike ou Crate&Barrel qui ont réussi à créer des communautés fortes et des expériences omnicanales différenciantes en exploitant à merveille la donnée client (« data is the new oil ») ;
  • La fracture du Retail : la désertification des malls américains et l’abandon des classes moyennes et populaires au profit d’un recentrage marketing sur les cibles à hauts revenus avec un intérêt accru pour les Millenials ;
  • AI-first quand encore bien des marques luttent avec le mobile-first : modèles commerciaux et logistiques prédictifs, tarification dynamique, storytelling cross-device, robots serviciels en magasin, smart VR, chatbots, analyse émotionnelle… ;
  • Avec Amazon ou Amazon-proof : si deux tiers du Top 75 des pure players (DNVB) ne sont pas référencés sur Amazon, le distributeur est incontournable pour le reste du marché (il capte en 2018, 49% du marché de l’e-commerce aux Etats-Unis). Et 2018 devrait voir sa marque de distributeur prendre de l’ampleur avec l’essor du voice commerce ;
  • Essor du voice commerce et nécessité de développer du « voice content » pour les marques (e.g. partenariat Google et Estee Lauder) ;
  • Monétisation accrue du social commerce avec technologies de reconnaissance visuelle et les modèles d’affiliation directe ;
  • La généralisation du pricing dynamique au secteur de la distribution (aujourd’hui drivé par les offres promotionnelles), jusque-là plus utilisé par les secteurs Travel et Hospitality, et qui intègre des variables comme les prix concurrents, saisonnalité des produits, habitudes d’achat des clients et enjeux et coûts logistiques ;
  • La réforme du Customer service vers de nouvelles fonctionnalités de self-service et une logique d’outbound, améliorant l’expérience client pré-, pendant et post-achat avec un objectif 24/7/365, écrasant les coûts opérationnels et augmentant la productivité et la rentabilité des centres d’appels et divisions, notamment lors des périodes de faible activité ;
  • La multiplication et l’accélération des DNVB et la multiplication de leurs flagships (Adore me, Warby Parker, etc…) dans les métropoles urbaines, riches et jeunes.

« Quelles sont les différences avec le marché français? »

LAC : « Le marché e-commerce américain possède plusieurs mois (années ?) d’avance sur la France en matière de maturité digitale : et c’est tout particulièrement vrai sur le mobile, l’IA et la Big Data. Les retailers sont dans une logique de « test and learn » favorable à la collaboration avec les start-up innovantes et le lancement de nouveaux produits ou services en temps records.

Outre cette culture de l’investissement et du risque, la culture du service client y est également plus forte et les standards de service bien plus agressifs qu’en France.

Si les Français ont pris le virage du storytelling, les États-Unis sont le marché par excellence de la communication : du mythe fondateur à l’origine des entreprises (l’incontournable bureau dans le garage de la Silicon Valley) au storytelling des marques (exposé comme au musée dans le flagship Warby Parker de NYC), l’art du pitch est enseigné dès le plus jeune âge dans le pays où sont nés le marketing et la publicité.

On note aussi une accélération du rythme des partenariats et acquisitions qui façonne un nouveau paysage : les barrières à l’entrée élevées imposent aux nouveaux entrants des investissements initiaux élevés ; et les « digital hubs » et programmes d’incubation deviennent la norme.

Enfin, côté retail, on note des habitudes de consommations différentes, avec la domination d’un marketing de la promotion (lors de temps forts comme Friends & Family, Black Friday, Xmas… mais également toute l’année), ainsi qu’un contexte d’ultra-concurrence et de sur-abondance de l’offre – les Américains sont friands de nouveauté et de nouveaux produits, services, marques apparaissent tous les jours – qui pénalise la fidélisation, tendance qui se confirme avec la montée des Millenials. Conséquence ? La concurrence sur les marchés publicitaires et immobiliers et la course à la visibilité engendrent des coûts supérieurs à ceux de l’Union Européenne et l’acquisition in-store et en ligne est un vrai sujet. Enfin, les États-Unis ont réussi à lever le principal point de friction de l’expérience d’achat, le paiement : les solutions de dématérialisation (Apple Wallet et autres solutions, magasins/terminaux sans caisse) ainsi que les options et services financiers (généralisation de l’achat à crédit et du leasing) sont pléthores et proposés par toutes les enseignes. Une aubaine pour les marques et un risque pour une société qui vit à crédit.

« Quelle conclusion et quelles opportunités ? »

LAC La révolution de l’intelligence artificielle est en marche. Des villes comme New York et San Francisco en constatent déjà les effets (licenciements dans le domaine de la finance, robotisation partielle des entreprises et de l’économie…). L’IA est sur le point d’atteindre des gains de performance tels qu’elle va nécessairement introduire de profonds bouleversements sociétaux et renforcer les inégalités à un point rarement observé dans l’histoire. Couplée à un marché de la consommation ultra-dynamique qui repose néanmoins sur un équilibre fragile, le tout sur fond de bulles immobilière et technologique, cette nouvelle révolution technologique replace la confiance au cœur de la relation marchande.

Plus que jamais, la question de la gouvernance est posée et la conduite du changement d’une impérieuse nécessité : la compréhension et la maîtrise des nouvelles techno est un prérequis pour prendre des décisions éclairées dans un monde en accélération et complexification croissantes. Imposant un effort de clarification, vulgarisation et formulation de la part des équipes techniques et informatiques pour travailler main dans la main avec les directions et, ce faisant, élaborer une réflexion commune. A l’issue de laquelle on peut espérer réduire les biais des algorithmes et œuvrer à la mise en œuvre de solutions pérennes, impactantes, efficaces et responsables.

Enfin, au même titre que le software aujourd’hui, l’intelligence artificielle va devenir une commodité. Faisant d’une « soft skill », la capacité à créer du lien entre deux langages en complexification croissante (informatique et business) et entre les hommes, un atout majeur pour prendre part et façonner le Retail, l’économie numérique et le monde de demain. Bonne nouvelle pour pour B.D.C. et tous nos confrères : « Consulting is not dead » !

 


Chez B.D.C. nous sommes AI-enthusiast et pensons que l’accélération du cycle technologique représente, quand elle est bien orchestrée, une opportunité unique de résoudre à grande échelle des problèmes d’envergure (du changement climatique à la réinvention du Retail et de la relation marchande de demain). 

Nous proposons un accompagnement sur mesure aux acteurs et marques de la distribution via des missions de transformation digitale. Pour en savoir plus, contactez-nous.